La Tunisie a connu une ère de paix et de prospérité sous le règne de Hammouda Becha. Cependant, à la suite de son décès en 1814, le pays a progressivement sombré dans une spirale de dettes croissantes. En 1864, une révolte éclata contre le régime de Sadok Bey, déclenchant des événements d’une violence particulièrement sanglante, notamment dans la région du Sahel. Cette période fut marquée par des massacres, des destructions d’infrastructures, des vols, des viols et des humiliations.

Les Sahéliens ont payé un lourd tribut pour leur désobéissance en refusant de s’acquitter des taxes excessives imposées par le gouvernement en place. Cet article retrace succinctement cette période d’insurrection contre Sadok Bey, ainsi que la bataille qui s’est déroulée à Sousse sous le commandement d’Ahmed Zarrouk, en lien avec la révolution de 1864 résultant de l’augmentation des taxes.

La révolution de 1864 suite à l’augmentation des taxes

Pendant le règne de Mohamed Sadok Bey, la Tunisie s’est enlisée dans des dettes étrangères, principalement dues à une mauvaise gestion des ressources nationales. Pour tenter de sortir de cette situation, le pays a contracté de nouveaux emprunts pour rembourser les précédents, à des taux de plus en plus élevés.

Dans le but de remédier à cette crise, la Tunisie a été contrainte de mettre en place plusieurs taxes, dont la taxe de l’Iana (الإعانة), également appelée la Mejba, pour renflouer les caisses de l’État. Cependant, cette imposition fiscale croissante a engendré une charge de plus en plus lourde pour la population, entraînant une diminution significative du pouvoir d’achat.

Malgré ces mesures, la Tunisie n’a pas réussi à rembourser sa dette étrangère qui ne cessait de croître.

En 1864, les commerçants ont refusé de payer leurs taxes, ce qui a déclenché un soulèvement populaire. Les tribus des jlass du Kairouannais, notamment les Ouled Ayar, Majer, Frechiche et d’autres, ont été parmi les premières à se révolter. Ali Ben Ghedhahem, chef des Majer, a pris la tête de cette rébellion.
Les grandes villes côtières du pays, telles que Sousse et Sfax, ont rejoint le mouvement, renforçant ainsi les rangs de la révolte. Des tribus en conflit ont uni leurs forces pour un objectif commun : se soulever contre Sadok Bey.

Une solution pacifique adoptée par Sadok Bey pour mettre fin à la révolte

Face à la coalition des grandes villes et des tribus contre son règne, Sadok Bey a réalisé qu’il ne pouvait pas recourir à la force. En juin 1864, il ne contrôlait plus que Tunis et ses environs, rendant l’utilisation de la force peu envisageable. Le bey a fait appel aux “chouyoukh”, des personnalités influentes de l’époque, pour intervenir et négocier avec les représentants des différentes tribus. Dans le but de mettre fin à la rébellion, il a proposé plusieurs offres séduisantes, notamment des postes importants, des terrains et des réductions fiscales.

Bien qu’Ali Ben Ghedhahem ait accepté de négocier, de nombreux chefs de tribus ont refusé, méfiants à l’égard des promesses du Bey. Ce clivage a divisé les forces révolutionnaires en deux factions. Plusieurs pays européens, ainsi que l’Empire ottoman, exerçaient une forte influence sur la Tunisie. Le sultan Abdelaaziz 1 a dépêché Hayder Afandi comme représentant de l’Empire ottoman, prononçant un discours menaçant incitant la population à obéir au bey. Des navires de guerre ont été envoyés aux côtes tunisiennes.

La Tunisie était en quelque sorte dirigée par des forces étrangères qui soutenaient le Bey et ce qui se passait n’était pas du tout au goût des révolutionnaires.

Répression Violente du Bey et Attaque d’Ahmed Zarrouk contre le Sahel

La région du Sahel a refusé de coopérer avec le Bey et a cherché à poursuivre la révolution. Les villes côtières posaient problème car elles servaient de voies de transit pour les armes à travers les ports de Sousse, Monastir et Mahdia.

Les grandes villes côtières ont refusé de payer les taxes, ce qui a irrité le Bey.

Cependant, les forces révolutionnaires n’étaient pas unies. El Kalaa Sghira et Msaken ont choisi de poursuivre la lutte, tandis qu’El Kalaa El Kobra a coopéré avec Ahmed Zarrouk. Le Bey est parvenu à diviser ses opposants et à rallier des personnalités influentes telles que Mohamed Bayar, Hammouda Belid et Ahmed Chtioui à sa cause en leur faisant des promesses.

Le Bey a saisi l’opportunité idéale pour envoyer ses soldats au Sahel. La mission a été dirigée par le général Ahmed Zarrouk et financée par le sultan Abdelaziz. Cette armée a progressé depuis la capitale jusqu’à Kalaa Essghira sans rencontrer de résistance. C’est là que s’est déroulée une grande bataille contre le Sahel, qui s’est prolongée pendant une journée entière.

La plupart des forces révolutionnaires se sont rassemblées à El Kalaa Sghira, où des combattants de Msaken et de ses environs, tels que la tribu de Zlass de Kairouan, se sont joints à la lutte. Des rumeurs ont circulé pour diviser les rangs de la résistance, prétendant que l’armée avait atteint M’saken. En conséquence, les tribus de cette ville sont retournées chez elles pour protéger leurs familles, mais elles n’ont rien trouvé. Les forces armées sur place ont tenu bon pendant plusieurs heures, mais ont fini par être submergées par les soldats d’Ahmed Zarrouk, mieux équipés et plus nombreux.

La population du Sahel va payer à prix fort sa résistance à la politique du Bey.

Les bombardements intenses ont gravement endommagé l’infrastructure, et les habitants ont été terrorisés par des soldats violents et assoiffés de sang. Ces locaux ont été contraints de fuir vers Msaken, Monastir et Sousse.

L’attaque fut tellement barbare qu’on se demanderait si les Sahéliens étaient bien considérés comme des Tunisiens.

Les soldats ont eu le droit de piller les maisons à leur guise, dépouillant les propriétaires de leurs biens. Les plus riches ont été soumis à des amendes considérables. Le 8 octobre 1864, Ahmed Zarrouk a fait une entrée triomphale à Sousse avec des prisonniers enchaînés et de nombreux soldats désarmés. La plupart des prisonniers étaient des femmes et des enfants, maltraités en route.

Les conséquences brutales de la révolte ont été marquées par une amende spéciale, la Khetia (خطيّة), imposée aux propriétaires impliqués dans l’insurrection pour couvrir les intérêts de la dette publique. Les méthodes les plus ignominieuses ont été utilisées pour les dépouiller de leurs richesses : arrestations, tortures, viols des femmes devant les pères et maris enchaînés, contraints de payer pour éviter la honte ou la garder secrète. Les propriétaires ont dû vendre leurs biens, y compris les portes de leurs maisons, pour s’acquitter des lourdes charges imposées.

Plusieurs hommes ont été condamnés à mort, dont Mohamed Mabrouk, Mohamed Hasfsa et Dahmeni Bouji. Leurs cadavres ont été exposés à la vue de tous, suspendus à l’une des portes de la médina de Sousse, notamment à Bab El Finga, surnommée “la porte de la potence”. Ahmed Zarrouk a ordonné la maltraitance des habitants du Sahel, même ceux d’El Kalaa El Kobra, qui avaient pourtant choisi de coopérer avec le Bey, n’ont pas été épargnés.

Le sort du Sahel a été un exemple et une leçon pour les autres villes qui souhaitent se rebeller contre le bey.

Ali Ben Ghedhahem essuiera une défaite face à Sadok Bey

Ali Ben Ghedhahem a compris que la paix était menacée, mobilisant ses partisans pour attaquer la région du sud-ouest à Hydra. Une bataille a eu lieu avec le général Rostom, dont l’armée plus nombreuse et mieux équipée a démontré sa puissance de frappe. Ali Ben Ghedhahem s’est finalement replié dans les frontières algériennes après plusieurs attaques visant à affaiblir davantage son armée et à mettre fin à la rébellion.

Finalement, Ali Ben Ghedhahem a cherché à conclure la paix, mais il a été capturé et humilié à la place du Bardo, où les partisans du bey l’ont insulté et brutalisé à son arrivée. Il a été emprisonné à la prison de Halk El Oued en décembre 1866, où il a subi des tortures acharnées. Il est décédé en prison, officiellement d’une mort naturelle, bien que les circonstances exactes de sa mort demeurent obscures.

La dette tunisienne a ouvert la voie à l’ingérence de la France en Tunisie.

Bien que le calme soit revenu, la dette persiste. En 1869, la France prend ainsi pied en Tunisie par le biais d’une commission anglo-italo-française, visant à résoudre la dette extérieure du pays, étant donné que la Tunisie n’arrivait plus à honorer ses engagements envers ses créanciers.

En 1881, le traité du Bardo est imposé au bey, établissant ainsi le protectorat français qui perdurera jusqu’au 20 mars 1956. À ce jour, la Tunisie est officiellement considérée comme un pays indépendant. Cependant, elle demeure sous l’influence des puissances mondiales.

La mauvaise gestion des ressources du pays persiste, la dette étrangère ne cesse de croître, les taxes augmentent et le pays se rapproche d’une crise économique imminente. De plus en plus de manifestations s’organisent à travers le pays.

L’histoire est-elle en train de se répéter ?
Peut-on réellement qualifier de souverain un pays qui dépend de ses créanciers ?

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